« l’esprit dictionnaire »

Source : Le Petit Robert

Depuis ma tendre enfance, j'ai la passion des dictionnaires. Je crois que je ne suis pas la seule. Ces gros tomes bourrés de savoir sont les béquilles de la mémoire et des sources de connaissances, tout en calant les autres livres dans les bibliothèques par leur poids, et en rehaussant les sièges d'enfant, par leur épaisseur. On les fréquente physiquement très tôt, ils en acquièrent une usure émouvante et une utilité familière. Ils trônent sur les étagères de l'étudiant comme sur celles de l'écrivain ou du linguiste. Les corrections automatiques des ordinateurs ne les ont pas remisés, c'est à eux que va toujours notre confiance.

Le mot « dictionnaire » bénéficie donc d'un héritage de sympathie que les auteurs exploitent habilement aujourd'hui. Les dictionnaires fleurissent, dictionnaires des fleurs, des idées reçues, des gros mots, des vertus, des champignons, d'argot, de verlan, dictionnaires des gestes, de la magie, des chansons, de la montagne, des recettes de cuisine érotiques, des proverbes populaires, de la gastronomie balzacienne ou des prénoms. On pense chaque fois se munir d'une culture encyclopédique qui nous protégera de l'ignorance et nous permettra de répondre aux jeux télévisés.

Chacun de nous, en réalité, pourrait établir un dictionnaire personnel de ce qui intéresse le plus, de ce que nous avons approfondi, par métier, par goût ou par hobby. Cette recherche têtue et obstinée dans une matière précise nous distingue et nous enrichit. Étrangement, on s'aperçoit qu'être féru d'une question nous donne des clés de lecture de l'ensemble des questions qui se posent. Les mécanismes de compréhension affinent l'esprit et s'appliquent à toutes les interrogations de la vie. Surtout dans la gratuité du désir de connaître. C'est « l'esprit dictionnaire ». Vive nos petits dictionnaires intérieurs et individuels, que nous avons plaisir à confronter avec ceux des grandes plumes qui publient les leurs. On sera d'accord, pas d'accord, on vérifiera d'un dictionnaire à l'autre, et ce mouvement entraîne une gymnastique culturelle, utile et bienvenue. Avec les dictionnaires, je m'exerce à penser.

Macha Méril, née princesse Maria-Magdalena Wladimirovna Gagarina le 3 septembre 1940 à Rabat au Maroc, est une actrice française.